Une BD "pour arrêter de stigmatiser ces Français de diverses origines"



HISTOIRE - En découvrant l'histoire de son arrière-grand père, tirailleur algérien mort au front en 1918 (photo), l'entrepreneur lyonnais Kamel Mouellef s'est réconcilié avec ses racines et a enfin pu "revendiquer la France" où il est né. Il prépare une BD pour relater cette histoire et souhaite la distribuer aux députés pour qu'ils arrêtent enfin de "stigmatiser" ces Français de diverses origines "qui servent de fond de commerce dès que les élections approchent"…


Sur la stèle de ce monument aux morts pour la France, près de Lyon, sont inscrits les noms de Léon Juste ou Paul Etienne mais aussi ceux de Tahar Meziane ou Mohamed Tayeb. Sur une plaque apposée dans le quartier de Vaise (Lyon 9e) figure l’inscription : « Ici, le 10 juin 1940 furent lâchement assassinés 27 soldats sénégalais qui avaient résisté courageusement à l’avance des hordes nazies ». Ou encore cette autre inscription, à Ecully : « Au 2e régiment de spahis algériens de reconnaissance qui libéra Ecully le 2 septembre 1944 vers 20h ».
Un peu partout en France, et singulièrement dans la région lyonnaise, de nombreuses traces attestent de l’engagement des soldats nord-africains dans l’armée française lors des deux guerres mondiales. Pourtant, « tout cela reste caché » s’indigne Kamel Mouellef. Quant aux « indigènes dans la résistance, c’est carrément le black out total » poursuit-il, assurant qu’ « Il y avait plus de 50 000 Algériens dans les maquis ».


Après des années de recherche, Kamel Mouellef est désormais incollable sur la question des tirailleurs nord-africains. La prise de conscience de leur existence, de leur courage à défendre la France, a changé le cours de sa vie. Lui, à qui « on rabâchait depuis ma naissance que j’étais là pour « bouffer le pain des Français », que je n’étais pas français » peut désormais « revendiquer la France » grâce à ses ancêtres qui se sont battus pour elle.


Aujourd’hui, il entend partager largement cette expérience en éditant une BD qui s’appellera « Turcos », surnom que les Russes donnèrent aux tirailleurs algériens dont la tenue orientale leur rappelait celles des turcs.


Tout est parti d’un rêve survenu en 1983. « Mon arrière grand-père me demandait de trouver sa sépulture afin qu’il puisse partir en paix » raconte Kamel Mouellef qui entame alors une longue recherche. Sa grand-mère, restée en Algérie, lui montre des photos qui confirment bien l’identité de celui qu’il a vu en rêve. En 2005, grâce au site du ministère de la Défense « sépultures de guerre », Kamel Mouellef retrouve enfin la trace de son arrière grand-père, enterré à Ambleny (Aisne). Un fonctionnaire lui envoie le registre matricule de son aïeul, monsieur Alouache Ahmed Saïd Ben Hadj, mort pour la France le 20 juillet 1918 après quatre ans au front et prend la peine, dans son courrier, de lui indiquer le maximum d’éléments sur les circonstances de son décès.


En novembre 2005, Kamel Mouellef part dans l’Aisne pour rendre l’hommage rêvé à son aïeul. Ce voyage suscite « un virage dans mes questions de vie, d’appartenance et de racines ». Dans le carré militaire où est enterré son ancêtre, il dit avoir eu « la chair de poule de voir autant de sépultures musulmanes, chrétiennes, toutes ensemble pour l’éternité ». Il comprend alors le sens de son rêve : « j’étais français et j’avais le droit de le revendiquer car eux, ma famille, leurs amis et proches avaient donné leur vie, leur sang pour la patrie, pour la France ».


Trois ans plus tard il a un déclic quand l’hymne national français est sifflé lors d’un match de foot amical France - Tunisie. Choqué par cet affront fait à la République, il est convaincu que « si ces jeunes savaient les sacrifices qu’ont faits leurs grands-parents ou arrière grands-parents pour défendre la France lors des dernières guerres, ils auraient sûrement plus de respect ». Et ne comprend décidément pas « pourquoi tout cela est caché ». Certes le film Indigènes de Rachid Bouchareb est passé par là. Mais cela ne suffit pas. Kamel Mouellef décide d’éditer une BD sur cette histoire commune et de la diffuser le plus largement possible, de s'en servir comme support d'interventions auprès des jeunes.


Avant de s’engager avec enthousiasme dans l’aventure de cette BD, le dessinateur Baptiste Payen s’est assuré que la démarche n’était « ni communautariste ni revancharde ». « J’aime bien l’idée qu’on respecte la mémoire des gens. On part d’une série de faits évidemment incontestables. Je suis convaincu par la cause qu’on défend, pourvu qu’on reste dans les faits » explique le jeune dessinateur.


La BD relate l’histoire et le parcours militaire de l’arrière grand-père de Kamel Mouellef, reconstitués à partir de lettres et de documents et romancés par des amitiés qui se nouent. « Notre propos est de retracer cette histoire commune, l’accepter, s’en servir de lien pour construire une cohésion, un avenir » résument les deux hommes auxquels s’est joint le scénariste Tarek.


L’an dernier, le débat sur l’identité nationale a achevé de convaincre les trois hommes de la pertinence de leur projet. Constatant que certains portent toujours un regard interrogateur sur sa présence en France et sa nationalité française, comme sur celles de millions d’autres, de diverses origines, Kamel Mouellef s’interroge. « Nous nous sommes battus pour la France, et travaillons toujours pour la France. Nous sommes un fond de commerce dès que les élections approchent. Alors pourquoi devrions-nous servir sans être ? »


Le premier tome de la BD, intitulé « Le jasmin et la boue », doit sortir en octobre prochain. Kamel Mouellef cherche actuellement un financement pour distribuer la BD aux 577 députés de l’Assemblée nationale, la veille du 11 novembre. « Pour qu’ils apprennent leur histoire de France et arrêtent de nous stigmatiser ».


Anne-Caroline JAMBAUD


Source : www.libelyon.fr

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